L’Apprentissage de la ville, Luc Dietrich
L’Apprentissage de la ville est un livre qui me tient particulièrement à coeur et que je souhaitais vous présenter. Cette oeuvre est le second volet d’un diptyque débuté sept ans plus tôt avec Le Bonheur des tristes.
L’Apprentissage de la ville a ceci de particulier qu’il met à mal toutes les conventions du pacte autobiographique traditionnel. Luc Dietrich y raconte une période de sa vie, de 1931 à 1935, mais si beaucoup d’éléments sont avérés, d’autres sont arrangés voire inventés. Ce brouillage de pistes atteint son paroxysme avec le sous-titre « Roman » donné à ce texte qui présente pourtant toutes les caractéristiques d’une autobiographie.
Né en 1913, orphelin de père, Luc Dietrich subit une enfance itinérante aux côtés de sa mère, toxicomane. Lorsque celle-ci s’éteint en 1931, le jeune homme est à son tour plongé dans une vie instable. Sans le sou, il fréquente toutes sortes de milieux, plus ou moins bien famés, et survit au jour le jour.
De sa rencontre avec Lanza del Vasto naît l’énergie qu’il met dans son oeuvre littéraire et qui nous permet, aujourd’hui, de mesurer le talent de cet écrivain disparu trop tôt…
L’Apprentissage de la ville est un texte très intimiste qui mériterait pourtant davantage de visibilité. Il dégage une poésie d’une rare beauté portée par un élan fugace d’une intensité inouïe.
Suivant au fil des pages l’itinéraire de l’auteur et le fil de sa vie, le texte nous emmène dans un monde à part, où la temporalité s’estompe au profit de tranches de vie, d’anecdotes, de souvenirs parfois fictifs dans lesquels le lecteur doit délier le vrai de l’imaginaire.
C’est une lecture qui m’a profondément marquée tant elle ne ressemble à rien de ce que j’ai pu lire avant. Luc Dietrich nous offre ici un texte vibrant d’émotion dont on ne ressort pas indemne.
Une lecture qui n’est peut-être pas d’un abord facile car d’une construction sans réel ancrage temporel, mais qui mérite qu’on s’y attarde, qu’on déchiffre cette vie qui porte en elle toutes les caractéristiques d’une tragédie grecque. Luc Dietrich s’est éteint à l’âge de 31 ans, en 1944, des suites d’une septicémie contractée par une blessure de guerre. Il laisse derrière lui une oeuvre brillante, d’une musicalité rare et vibrante d’images poétiques.
A lire si le style d’un auteur compte autant si ce n’est plus qu’une intrigue rocambolesque à souhait. A lire pour découvrir un artiste, une plume, une vie.
« Le sang coule dans le creux de la hanche, mes mains ne peuvent plus le retenir. Il est beau, il est précieux, et il s’en va. » (p.29)
« Cette nuit les herbes ont poussé si haut que les arbres ont peur pour leurs fruits. » (p.47)
« Le passé m’était remords, l’avenir menace, le présent dégoût. » (p.62)
« Et sommeil aussi sera notre vie de demain, quand le soleil luira et que nous nous croirons en éveil, nous les humains chefs-d’oeuvre, nous les petits parfaits du globe, aux mobiles de mouche, à la mémoire épaisse et à la langue agile. » (p.155)
Cette lecture me permet d’honorer mon engagement pour le Challenge nécrophile de Fashion.
Quel beau billet, et quel enthousiasme !
Ce que tu en dis me donne bien envie de le découvrir. J’irai regarder à la médiathèque. De plus, j’aime beaucoup les passages que tu cites.
Un roman d’un abord pas facile et qui rompt le pacte autobiographique, je pourrais me laisser tenter. Faut-il absolument commencer par le premier ?
Tu me donnes envie de relire ce livre
@MyaRosa : Je suis vraiment contente de t’avoir donné envie de découvrir ce texte qui me tient à coeur ! @Alex-Mot-à-Mots : Absolument pas ! Pour ma part, je n’ai pas lu « Le Bonheur des tristes ». Il m’a suffit de me renseigner sur sa biographie pour saisir l’essence de ce titre-là…
@Wens : C’est rare de croiser quelqu’un qui connaît cet auteur, encore plus quelqu’un qui l’a déjà lu !
Bravo pour ton billet qui se hisse à la hauteur de l’œuvre que tu commentes.
Et surtout merci. Merci d’avoir voulu (et su) partagé ces lectures qui font partie de moi.
Gotham.
@Tosty : Merci à toi d’avoir permis cette rencontre… Et quelle rencontre ! Gotham city, of course !
Je n’aime pas les biographies donc je passe mon tour sur ce titre.
@Véro : Surtout que c’est une biographie cachée derrière un roman et dont les frontières sont assez floues…